Premières transplantations cardiaques

Nous travaillâmes effectivement beaucoup à Foch. Et surtout nous y vîmes la chirurgie cardiaque progresser.

C’est que Daniel GUILMET, outre son talent d’opérateur, a des idées bien arrêtées et des solutions efficaces. Ainsi il croit à la transplantation cardiaque. Alors que tous ou presque, après l’engouement de la première année, ont abandonné, il persévère. Le succès est difficile et sur les 11 premiers transplantés opérés de 1968 à 1970, un seul survécut, ce qui fera dire à Charles DUBOST : «Ce n’est pas de la chirurgie, c’est l’holocauste !». En 1973 il reprend l’expérience mais les résultats sont médiocres. Chaque transplantation cependant est un évènement et je me souviens que les soirs où cela se passait il fallait presque marcher sur les journalistes dans le service.

Dix ans plus tard cette technique aura atteint sa maturité et sa vitesse de croisière. Elle n’intéressera plus les médias et il faudra même, certains soirs, chercher l’interne qui voudra bien vous aider. Ceci a été bien sûr le résultat de la découverte de la Cyclosporine, médicament anti-rejet majeur, mais aussi, ô combien! de l’entêtement et la constance de quelques-uns dont Daniel GUILMET.

Mais surtout Daniel GUILMET a des idées originales.

Beaucoup de chirurgiens pensent chaque matin en se rasant à une nouvelle technique, comme d’autres pensent à devenir président de la République. Hélas, l’écrasante majorité de ces techniques se révèle incongrue, dangereuse, inapplicable.

Chez Daniel GUILMET rien de tout cela. Il a une formidable clairvoyance et un sens aigu de ce qui va fonctionner et les grandes idées techniques qu’il suggère ou élabore se révèlent efficaces et reproductibles.

Ainsi de l’utilisation de la colle biologique dans cet accident terrible qu’est la dissection aiguë de l’aorte. L’expérimentation animale menée par Claude LAURIAN, Frédéric GIGOU, et Olivier BICAL va confirmer le bien fondé de cette idée. Le premier malade est opéré ainsi le 11 janvier 1977. Onze patients sont opérés la même année, la mortalité hospitalière passe de 46% à 9%.

Il en va de même quelques années plus tard avec l’idée de perfuser le cerveau dans le sens physiologique à travers les artères carotides et grâce à du sang froid tout en maintenant le patient à température modérément abaissée, lorsque l’on doit exclure la circulation cérébrale pour remplacer la crosse de l’aorte. La mortalité passe de 26 à 11% et le taux d’accidents neurologiques graves s’établit à 3%.
Idée fructueuse encore quand il pense que l’on peut remplacer complètement l’aorte thoraco-abdominale en plaçant le patient en hypothermie profonde et en pratiquant l’essentiel de la réparation sous arrêt circulatoire total. Même si depuis cette technique a été battue en brèche, elle constitua une étape importante dans cette chirurgie majeure.
Et même lorsque les idées ne sont pas siennes, il sait voir dans les innovations proposées celles qui ont un avenir. C’est ainsi qu’à Paris nous serons certainement les premiers à réaliser dès 1994 des remplacements complets de la racine aortique avec conservation de la valve naturelle selon les techniques proposées quelques années auparavant par Tyrone DAVID au Canada et Magdi YACOUB en Grande Bretagne.
Je n’insiste pas. Tout ceci se trouve décrit avec clarté et détail dans le livre que Daniel GUILMET écrivit il y a quelques années et que je vous invite à lire ou à relire
Sachez seulement que ce service, petit de taille, était grand de qualité et que, sans avoir l’air d’y toucher, on y faisait avancer la chirurgie cardiaque et la prise en charge des affections les plus sévères.
Il est d’autres domaines où les lacunes de Daniel GUILMET, pour ne pas dire plus, furent aussi flagrantes qu’étonnantes. Ce furent la pratique des langues étrangères et l’administration de son service. Par un de ces autres mystères de la physiologie, Daniel GUILMET fut toujours incapable d’apprendre et, a fortiori, de pratiquer quelque langue autre que le français. Il ne parla jamais l’anglais même si, soyons juste, il le lit un peu. Un souvenir me revient en mémoire : un jour, un représentant de l’industrie biomédicale s’annonça dans le service accompagné d’un chirurgien américain qui voulait rencontrer Daniel GUILMET. Celui-ci était occupé en salle d’opération et je fus chargé de recevoir ces messieurs. Nous devisions gentiment dans la langue de Shakespeare lorsque le Patron arriva. L’américain, bien élevé, se leva et le salua en disant : «Professor GUILMET, I’m John SMITH. Nice to meet you». A ce moment Daniel se tourna vers moi et me dit à mi-voix «Qu’est-ce qu’il dit?»
Plus fort encore. Daniel GUILMET alla tous les 15 jours à peu près et pendant 15 ans opérer en Italie du jeudi au dimanche. Au bout de quinze ans il savait dire à peu près ceci à ses malades, avec un accent particulièrement idiomatique: «Tutto bene, domani, casa !» Que les amis italiens ici présents me démentent.

Cette lacune, dommageable en soi sur le plan des relations sociales, aurait pu avoir cependant des conséquences professionnelles plus grandes. Elle l’empêcha, en effet, de participer comme il aurait pu ou aurait du aux grands congrès internationaux et d’y faire valoir les idées qui étaient les siennes. Daniel GUILMET publia beaucoup, mais essentiellement en français et l’on sait que ceci est un handicap majeur dans la diffusion des sciences et des techniques.

Il fut parfois puni. Ainsi de la technique de l’utilisation de l’hypothermie profonde dans la chirurgie de l’aorte thoraco-abdominale que j’évoquais plus haut. Il fit les quatre premiers cas en 1981. Je lui proposai quelques temps plus tard de rédiger pour lui un article et de le proposer dans la plus grande revue américaine de notre spécialité. Il me rabroua en moquant mon «américanisme». Il publia sa technique dans une revue française. Évidemment, elle ne fut lue par personne, ou presque. Quelques années plus tard Nicholas KOUCHOUKOS, chirurgien américain de Saint-Louis, publia dans la dite revue américaine, ses résultats sur une série de malades opérés selon la même technique. Elle fut lue par tous et porte maintenant son nom, malgré les récriminations de notre bon maître.
Mais heureusement pour lui, pour son école et pour le rayonnement de ses idées, Daniel GUILMET n’est ni jaloux ni mesquin. Il laissa un de ses assistants, plus talentueux que lui dans ce domaine, synthétiser les choses, colliger les données, publier toutes ces techniques et tous ces résultats dans la meilleure presse scientifique internationale, ce qui permit de les faire connaître partout et de diffuser la pensée Fochienne. C’est ainsi que je devins le Ministre des affaires étrangères du Service. Je lui en sais gré. Je ne minimise pas pour autant mon mérite qui fut grand car j’ai fait en sorte que notre savoir-faire dépasse le pont de Suresnes et je crois l’avoir bien fait.

J’en ai fini. Vous avez compris que, comme dit l’opérette, «nous avons fait un beau voyage». Daniel GUILMET fut notre Maître. Il nous a appris le métier, et, je crois, nous l’a bien appris. Comme un maître artisan apprend à ses compagnons. Et tous les jours nous nous recommandons inconsciemment ou consciemment de lui. C’est que la chirurgie voyez-vous, contrairement à un poncif trop souvent entendu, n’est, ni un art ni une science. Elle n’a rien à voir avec la peinture, la sculpture ou la musique, ni, bien sûr, avec les sciences expérimentales exactes. Elle est une technologie nourrie, comme toutes les technologies, de science qu’elle applique. Elle s’apprend, donc, comme l’ébénisterie, la cuisine savante ou l’informatique. Elle se transmet donc ainsi.
Avoir reçu cette transmission d’un grand professionnel est une chance. Avoir fait fructifier ce savoir est un honneur. Le transmettre à d’autres est un devoir. C’est ce que nous avons essayé de faire.

Alors rendons hommage à celui qui fut notre Maître. Nous lui devons beaucoup. Avec la sagesse de l’âge, j’espère qu’il se dit que c’est un peu réciproque.
C’est pourquoi je lève mon verre en son honneur et en l’honneur de tous ceux qui ont participé à cette extraordinaire aventure.

Docteur Jean BACHET

(Discours prononcé lors du Jubilé chirurgical du Professeur Daniel GUILMET, le 10 octobre 2007—mairie de Puteaux)


WHO’S WHO ? (édition 2004)

GUILMET (Daniel), Chirurgien. Né le 4 août 1932 à Hanoi (Indochine). Fils de Raymond Guilmet, Universitaire, et de Mme, née Germaine Marquet.
Marié en troisièmes noces, le 7 juin 1982, à Mlle Marie-Brigitte TEBOUL (2 enfants : Alexandra, Jérôme et 6 enfants de ses précédents mariages : Claudine, Edith, Pierre, Pascal, Véronique, Laurence)

Études : Lycées d’Hanoi et de Saigon, Lycée Condorcet et Faculté de médecine de Paris. Diplômes. : Docteur en médecine. Carrière : Interne des hôpitaux de Paris, (1959-64), Chef de clinique assistant à l’hôpital Broussais, Chef du service de chirurgie cardiaque à l’hôpital Foch (depuis 1966), Professeur des universités (1972), membre de l’Académie de chirurgie (depuis 1984)
Œuvre : le cœur qui bat (1997)
Travaux : transplantations cardiaques à l’hôpital Foch à Suresnes (depuis 1968)
Sports : natation, ski.