Les débuts

LES DÉBUTS

A son retour il peut enfin commencer son Internat. Il goûte d’emblée à la chirurgie vasculaire puisqu’il a comme premier patron Jean FAUREL, chirurgien de grand talent, qui règne alors à Paris sur cette discipline. Je ne sais pas si le contact fut fructueux. Ce que je sais c’est que, FAUREL, convoqua un jour Daniel GUILMET et lui déclara tout de go qu’il lui fallait abandonner la chirurgie et se diriger vers une spécialité médicale car il n’était évidemment pas doué pour l’acte opératoire ni préparé à ce métier difficile et exigeant. Il en fut évidemment très affecté mais, bien sûr, ne tint aucun compte de ce conseil douteux. Les milieux autorisés commencent à penser qu’il a peut-être eu raison!

Dans cette affaire, FAUREL ne fut certes pas très perspicace mais il eut l’élégance de dire à Daniel GUILMET quelques années plus tard qu’il s’était lourdement trompé et qu’il s’en excusait.
L’internat se déroula sans histoire. Comme tout le monde Daniel GUILMET changea régulièrement de service et apprit la chirurgie auprès de maîtres plus ou moins compétents et prestigieux. Il eut quand même la fortune de côtoyer MOREL-FATIO, LOYGUES et quelques autres. Il eut surtout la grande chance de terminer son internat à l’Hôpital Broussais dans le Service de Charles DUBOST, chirurgien de grande renommée, d’une intelligence fulgurante, d’une habileté exceptionnelle, et véritable créateur de la chirurgie cardiaque parisienne bien qu’il fût là en grande concurrence avec Jean MATHEY à Laennec.


 Charles DUBOST            Philippe BLONDEAU

Broussais, c’est le service où il fallait être passé si l’on voulait persévérer dans la spécialité et je ne connais pas un chirurgien cardiaque parisien de ma génération ni de la précédente qui n’ait été interne chez DUBOST. Il va y rester ensuite comme Chef de clinique –Assistant jusqu’à la création du service de Foch en 1969. Il va y fréquenter Charles, bien sûr, mais aussi Philippe BLONDEAU, qu’il considèrera toujours comme son vrai maître, Claude d’ALLAINES, Armand PIWNICA, et d’autres jeunes chirurgiens comme Robert SOYER, Alain CARPENTIER, Jean-Yves NEVEUX, Iradj GANDJBAKHCH etc .. qui, bientôt, comme lui, constitueront la fine fleur de la chirurgie cardiaque française et même internationale.

Mais aussi, pendant tout son internat, Daniel GUILMET s’enthousiasma pour la recherche expérimentale qu’il pratiquait quasi quotidiennement, dès que son activité clinique lui en laissait le loisir à Marie-Lannelongue, en compagnie de BLONDEAU et de PIWNICA.


C’est que tout ou presque est à inventer. La première circulation extra corporelle avec un oxygénateur artificiel date de 1957, la première valve artificielle en position anatomique a été posée en 1961 par Albert STARR aux États Unis, les pontage coronaires ne sont toujours pas pratiqués et, bien sûr nous sommes encore loin de la première transplantation cardiaque et du cœur artificiel. La routine quotidienne que nous connaissons aujourd’hui n’est pas de la partie et les expériences nouvelles ne manquent pas. Il est vrai aussi que les résultats opératoires sont loin d’être ceux que nous connaissons actuellement.

En tout cas il va se familiariser avec un grand nombre de procédés nouveaux et de techniques innovantes et mettre au point des techniques de sutures vasculaires fines et étanches qui feront l’objet de sa thèse et qui, entre autres qualités techniques, resteront toujours sa marque. A tel point que, lorsque j’étais son assistant et que je le voyais faire, il m’arrivait de penser ou de dire «Ce n’est pas vrai! Il a été interne chez Louis Vuitton ou chez Christian Dior!».

Les années de Broussais sont donc très fructueuses. Rapidement Daniel GUILMET apparaît comme un opérateur très doué et même aux yeux de Charles DUBOST, qui, peut-être parce qu’il n’apprécie guère son indépendance d’esprit, peut-être parce qu’il sent que, déjà, Napoléon couve sous Bonaparte, peut-être parce qu’il entrevoit chez lui un futur rival, ne lui manifeste guère d’amitié. Comme Charles DUBOST lui-même me le dira un grand nombre d’années plus tard alors qu’ayant fini mon Internat j’allais lui remettre un exemplaire de ma thèse. J’étais tout timide dans son bureau et il me demanda où j’en étais de ma carrière. Je lui indiquai que j’étais depuis peu à Foch chez Daniel GUILMET. Il marqua une certaine surprise car il me croyait chef de clinique à Laennec. Je sentis une sorte de moue sur ses lèvres et une espèce d’ironie fugitive dans son regard tandis qu’il me dit «Ah! C’est vrai, vous êtes là-bas!» «Remarquez, c’est bien. Vous allez bien apprendre votre métier. C’est probablement le meilleur chirurgien que j’ai vu depuis longtemps». Comme si citer Foch et surtout GUILMET lui était difficile. Il est vrai que c’était quelque temps après leur querelle publique par journaux interposés sur la pratique et le devenir des transplantations cardiaques. Et il est vrai aussi que DUBOST ne pouvait guère pardonner à ceux qui l’avaient quitté pour créer un autre centre de chirurgie cardiaque. Mais pour ce qui était d’apprendre mon métier, je peux maintenant dire qu’il avait eu raison.

Partout le chirurgien de talent commence à donner sa mesure. Plus même que sa mesure et c’est ainsi qu’à 34 ans, âge auquel nous commençons pour la plupart à être vraiment indépendants, il va réaliser le premier remplacement en Europe de toute la crosse de l’aorte, en appliquant une technique originale décrite deux ans auparavant par un chirurgien de Pékin.

C’est ainsi aussi qu’en 1968, ayant suivi l’émergence puis le développement spectaculaire des pontages coronaires aux USA, et devant la pusillanimité des cardiologues parisiens qui ne pratiquent toujours pas la coronarographie, il va joindre son talent à celui d’Alain SISTERON, chirurgien lyonnais de grand talent et de forte personnalité, pour réaliser les premiers pontages coronaires en France. Il commence à en tirer une certaine gloire publique puisque la chose est l’objet d’une diffusion par l’AFP. Ses relations avec la presse ne s’arrêteront pas là.

CHEF DE SERVICE A FOCH

Mais Broussais lui pèse. Il est un esprit indépendant, il n’a que 36 ans mais il veut être maître chez lui. L’occasion qui s’offre est trop belle. L’hôpital Foch, établissement de statut privé géré par la caisse de prévoyance de la SNCF et sous la direction clairvoyante et perspicace de Georges CHEVALIER, veut créer un service de chirurgie cardiaque. Armand PIWNICA a été pressenti et a même commencé à faire quelques interventions, puis a renoncé. Daniel GUILMET saute sur l’aubaine. Il en profitera, quitte à ne pas être nommé Professeur Agrégé comme l’en a menacé Charles DUBOST.

Le service est officiellement créé en Octobre 1969 dans l’enthousiasme et dans l’improvisation. Deux jeunes assistants de Broussais ont décidé de le suivre: Iradj GANDJBAKHCH qui partira en 1972 pour devenir, alors agrégé, le successeur de Christian CABROL à la Pitié, ainsi qu’Alain BRUNET qui retournera ensuite à Broussais. Robert SOYER s’adjoindra à eux avant de fonder le service de Chirurgie cardiaque de Rouen.


Nicole THÉRY

Mais une personne va jouer un rôle particulièrement important dans la création puis la marche de ce service et, ce, jusqu’en 1990. Je veux évidemment parler de la Surveillante Générale, Mademoiselle THÉRY. Comment ne pas lui rendre ici un hommage appuyé, puisqu’elle fut la cheville ouvrière, l’organisatrice, la mémoire et la gardienne du temple. Arrivée tous les matins à 7 heures, partie tous les soirs après 20 heures, sachant tout, trouvant tout ce que les autres cherchaient en vain, connaissant superbement son monde médical, infirmier et autre, souvent sévère, toujours juste, elle fut un parangon de vertu et de devoir accompli. Formée selon la tradition, elle appelait tout le monde par son nom de famille, sauf le Patron qu’elle appelait «Monsieur» et BRUNET qui avait droit à «Alain». Nous lui devons tous beaucoup.

L’activité du service se développe rapidement. La réputation chirurgicale de Daniel GUILMET s’est définitivement affirmée et les cardiologues l’apprécient grandement. Elle s’appuie de plus sur le renom de l’Hôpital Foch, qui à cette époque, représente sans conteste ce que l’on fait de mieux comme établissement hospitalier dans la région parisienne. Les internes choisissent le service et nombreux sont les actuels professeurs, doyens, président d’université même, qui y sont passés. C’est en 1971 que Daniel GUILMET et Iradj GANDJBAKHCH créent l’ADETEC, association regroupant d’anciens opérés du cœur.


Professeurs Daniel GUILMET          et Irad GANDJBAKHCH

Deux internes, cependant, qui ne sont devenus ni professeurs ni présidents de quoi que ce soit (mais ceci est une autre histoire) vont y rester.

L’un arrive en Avril 1974. Il est en 3ème année d’internat, il vient de passer un an à Laennec après avoir passé 6 mois à la Pitié et quelques semestres dans d’autres services. Il n’est pas un foudre de guerre, mais il est sympathique, chaleureux, quelquefois drôle, travailleur et dévoué. Ses idées politiques ne sont pas tout à fait celles du patron mais on peut s’en accommoder. Il est sérieux, trop sérieux puisqu’il est déjà marié depuis presque dix ans, a déjà trois enfants et attend le 4ème. Il s’appelle Jean BACHET : c’est moi. Je suis censé partir faire carrière chez CABROL à la Pitié mais, de son fait, ce projet capote brutalement. Au début, je lui en ai beaucoup voulu. Mais je me suis rapidement aperçu qu’en me permettant de rester à Foch, il m’avait rendu le plus grand service possible. Car Daniel GUILMET, en mal de 2ème assistant accepta de me prendre, sans enthousiasme certes, mais avec beaucoup de gentillesse.


   Docteur Jean BACHET            Docteur Bertrand GOUDOT

L’autre arrive 6 mois plus tard. Il est Interne de province mais on le lui pardonne. Il est tout le contraire du précèdent. Il a 4 ans de moins, il est beau comme un Jésus, charmeur, célibataire, séducteur, plein d’humour et de finesse, roule en Porsche, et qui plus est, va se révéler un interne brillant, et aux dires mêmes de GUILMET, qui n’a jamais été prodigue de compliments, un chirurgien très doué. Il s’appelle Bertrand GOUDOT. A la fin du semestre Daniel GUILMET lui propose de rester comme assistant. Il accepte, bien sûr.

Nous sommes en 1975. Tous les assistants du début sont partis pour d’autres horizons. Seuls sont encore là mais pour peu de temps, Alain BRUNET et Jean-Paul CRON. Daniel GUILMET se sent un peu seul. Yves LECOMPTE, brillant chirurgien s’il en est, a bien promis de revenir comme assistant mais il n’a pas fini encore son internat et Laennec lui fait les yeux doux.

C’est ainsi que GOUDOT et moi nous sommes connus, nous sommes appréciés et avons lié, ce qui a pu paraître paradoxal à certains, une amitié indéfectible et qui dure encore. Nous avons partagé les mêmes enthousiasmes, les mêmes ennuis, nous avons progressé ensemble. Nous avons partagé le même bureau pendant plus de 20 ans. Comme il me disait souvent, «Jeannot, je passe plus de temps avec toi qu’avec ma femme». C’était peut-être vrai.
Il est certain aussi, qu’étant donnée l’importance de ses activités littéraires et académiques, il ne me gênait pas beaucoup dans mon travail. Ainsi chacun trouva sa place, lui, chirurgien né, dans une importante activité opératoire publique et privée, moi dans une activité opératoire moindre mais dans le développement d’une large activité de publication et d’enseignement, nationale et internationale.

Ainsi le service prit sa vitesse de croisière. En 1978, Denis BRODATY arriva comme réanimateur. Il fut suivi deux ans plus tard par Claude DUBOIS qui avait été Interne de cardiologie dans le service. ls furent rejoints quelques années plus tard par Philippe DELENTDECKER. Ils constituèrent une réanimation d’une grande efficacité et d’une qualité à toute épreuve, aidés par des infirmières de tout premier plan, efficaces et dévouées, même si, assez souvent, du fait de la charge de travail et des sautes d’humeur, les larmes leur venaient aux yeux.

En 1990, Gilles DREYFUS, jeune et fringant chirurgien qui avait été interne dans le service puis chef de clinique à Broussais auprès d’Alain CARPENTIER rejoignit l’équipe. Il fut rapidement nommé professeur agrégé ce qui renforça le caractère universitaire du service.

Parallèlement l’activité de chirurgie vasculaire du service dont Daniel GUILMET avait la charge depuis le début s’était largement développée. Des internes talentueux et que cette discipline intéressait beaucoup s’y consacrèrent tout spécialement puis purent obtenir le statut d’assistants. C’est ainsi que successivement Claude LAURIAN, Thierry RICHARD, puis Alain PIQUOIS assurèrent cette fonction avec brio et lui conférèrent dans l’hôpital un statut qui les honore.

Je ne vais pas continuer à vous faire la liste de tous ceux qui passèrent dans le service, vous vous lasseriez. Sachez seulement que cette équipe stable, cohérente œuvra solidairement pendant deux décennies.
Chacun y apporta la contribution de sa personnalité, de sa compétence, de sa volonté. Et nous fumes rapidement ressentis dans le microcosme comme une équipe très solidaire, amicale, familiale presque. Tellement même que je crois pouvoir dire que les éclats, les sautes d’humeur, les engueulades qui n’étaient pas rares, n’entraînaient jamais de rancune, de jalousies, de coups tordus.

La personnalité du Patron y faisait pour beaucoup. Car, jamais il n’employa l’argument d’autorité. La hiérarchie était technique. Elle ne fut jamais imposée, militaire, arbitraire. On pouvait discuter avec lui à l’envi, il n’employait jamais sa position pour avoir raison.

Car la simplicité est l’une de ses marques.

Simplicité de la chirurgie où l’on va toujours et rapidement à l’essentiel pour faire, comme disait CABROL, «la bonne opération tout de suite».
Ceci était frappant quand on arrivait dans le service en venant de structures où les choses étaient plus compliquées.
Cette simplicité, cependant, n’était jamais du simplisme. Les choses étaient faites comme elles devaient l’être sans raccourci douteux ni négligence scabreuse. Mais les sutures étaient étanches d’emblée, les pontages avaient la bonne longueur, les valves la bonne taille, les prothèses vasculaires la bonne dimension et la bonne courbure. Quand un geste était fait, il n’était pas besoin de le reprendre. Si bien que, alors que Daniel GUILMET, en tant qu’opérateur, n’avait pas des gestes particulièrement rapides, la chirurgie l’était car on ne refaisait pas deux fois la même chose. Je crois pouvoir dire, après tant d’années, qu’il nous a transmis cette façon de faire et que, tout talent personnel mis à part, c’est ainsi que nous concevons la chirurgie cardiaque.

Simplicité des rapports humains. Son bureau était toujours ouvert. Sa bouteille de whisky était la nôtre et nul n’avait besoin pour le voir de demander un rendez-vous plusieurs jours à l’avance à une secrétaire plus ou moins prétentieuse et aimable, comme c’est souvent le cas dans d’autres services.

Un fait frappant d’ailleurs en atteste. Très rapidement nous eûmes dans le service des résidents étrangers qui nous faisaient l’honneur de venir se former auprès de nous. Des Européens bien sûr et en particulier des Italiens mais aussi des Égyptiens, des Libanais , des Algériens, des Syriens, etc. Jamais leur valeur ne fut appréciée en fonction de leur origine ethnique ou culturelle. Ils furent toujours jugés à l’aune de leur compétence et de leur engagement. Ce n’est pas si fréquent. La présence de certains d’entre eux ce soir témoigne qu’ils furent traités comme il se doit et qu’ils en gardent un bon souvenir.

Simplicité du comportement aussi.
Un exemple. En 1973 il fut contacté pour faire de la chirurgie cardiaque à la Martinique. Là-bas alors : pas de service, pas de structure spécialisée. Il fallait opérer dans un sanatorium départemental, dans une petite salle quasi monacale, sans vraiment de réanimation élaborée. Qu’à cela ne tienne. Il y avait une table d’opération, de la lumière, des gaz médicaux et du vide. Il accepta avec enthousiasme, réunit son équipe : chirurgien, anesthésiste, panseuses, réanimateurs, perfusionniste, pharmacien, et vogue la galère. Les séries qui furent au début annuelles devinrent bientôt biannuelles en alternance avec une équipe de Lille. En 1980, il arrêta. Un an plus tard, avec l’aide de Thierry RICHARD nous recommençâmes et les séries, sous la direction alternative de Bertrand GOUDOT et de moi-même, eurent lieu trois ou quatre fois par an jusqu’en 1989: l’on opéra plus de mille malades avec une mortalité extrêmement faible. C’est à cette date que fut ouvert, dans le nouvel hôpital de La Meynard, un service dont Alain BRUNET prit la direction.

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